Lutter contre le harcèlement au travail, le grand défi du 11ème congrès international de l'IAWBH

Sous
l’égide de l’IAWBH (International
Association on Workplace Bullying and Harassment) et avec la participation
du COMPTRASEC UMR 5114 (Centre de droit comparé du travail et de la sécurité
sociale, CNRS-Université de Bordeaux), Loïc
LEROUGE et Marie-France HIRIGOYEN ont eu le plaisir
d’organiser du 5 au 8 juin 2018 à Bordeaux, le 11ème congrès
international de l’IAWBH sur le harcèlement sur les lieux de travail.
La
présence de 400 spécialistes, chercheurs et praticiens de terrain, venant de 43
pays des 5 continents a permis de constater – si on en doutait – l’importance
croissante partout dans le monde des problématiques de harcèlement sur les
lieux de travail. Tous font le constat de l’impact dramatique sur la santé et
l’identité des travailleurs qui en sont victimes. Or, en dépit des lois ou
recommandations qui existent dans un certain nombre de pays, il est toujours
difficile pour une personne ciblée de se défendre ou pour les entreprises de
prévenir de façon effective le harcèlement au travail. Cet événement faisait
ainsi écho aux travaux ayant lieu au même moment à l’Organisation Internationale
du Travail (OIT) sur une future Convention internationale sur le harcèlement et
la violence au travail.
Le
questionnement qui était notre point de départ « Mieux comprendre le harcèlement moral dans un monde en mutation »
s'est reflété dans les différentes présentations faites à ce congrès.
Nous avons vu qu’il n’était pas possible d’analyser les problématiques de
harcèlement moral et de violences sur les lieux de travail sans les replacer
dans leur contexte social et politique. C’est ainsi qu’en Amérique Latine le
harcèlement moral n’est qu’un élément dans un contexte plus général de violence
et de corruption. On a vu également qu’en Chine l’expression du harcèlement
était beaucoup plus directe, voire physique.
Comme
escompté, le congrès nous a amené à réexaminer les limites entre le harcèlement
moral, le stress, l'épuisement professionnel (ou « burn-out »),
les mauvaises conditions de travail et d'autres formes de violences au travail.
Ce questionnement avait déjà eu lieu dès les premiers travaux sur ce sujet avec
de nombreuses discussions pour différencier stress et « mobbing ».
Heinz Leymann dès 1996 avait souligné qu’un milieu de travail nocif pouvait
induire indirectement du harcèlement.
Dans un
contexte de compétitivité mondialisée et globalisée, il est demandé de
travailler toujours plus, toujours plus vite et de s’adapter en permanence à de
nouvelles exigences et aux nouvelles technologies, sans nécessairement laisser
un temps pour penser et faire du travail de qualité. En raison de l’isolement,
de la responsabilisation, de la mise en concurrence, des évaluations
systématiques, le travail s’est déshumanisé. Il ne s’exprime plus dans une
relation humaine, mais beaucoup plus à travers des chiffres, des objectifs et
des résultats, dans la répétition de méthodes de gestion possiblement
harcelante. Placés sous une pression permanente, et aussi parfois par crainte
de perdre leur emploi, beaucoup de salariés n’osent pas réagir ni s’insurger.
En période de crise ou de fortes contraintes pour l’entreprise, la limite entre
ce qui est simplement un management un peu dur et du harcèlement managérial est
devenue imprécise. Certains se résignent et finissent par considérer comme
normale la dégradation de leurs conditions de travail, d’autres font le choix
de quitter leur milieu de travail pour inventer d’autres façons de travailler.
Ce
congrès a mis l’accent sur la qualification du harcèlement. Nous assistons
actuellement à un élargissement des préoccupations autour de la notion de
harcèlement moral ouvrant la porte à d’autres problématiques de souffrance ou
de mal-être au travail qui sont toutefois du ressort des risques psychosociaux.
Cette confusion a été accentuée dans les pays qui ont défini juridiquement le
harcèlement moral au travail. Disposer d’une définition juridique peut avoir
comme effet de faire converger vers ce fondement la plupart des actions en
justice dans le champ de la santé mentale au travail. Comment distinguer les
situations réelles de harcèlement des conditions normales de travail qui
peuvent certes être source de tensions, mais qui n’affectent pas l’intégrité et
la dignité de la personne ? Comment identifier et neutraliser les cas où
ce sont les méthodes de gestion elles-mêmes qui viennent bafouer le respect qui
est dû à chaque salarié et à dégrader leur santé ?
En outre, lors de ce congrès, une dizaine de présentations et un workshop international ont abordé les différents aspects du harcèlement sexuel. Si de nombreuses études sur le harcèlement sexuel avaient été menées depuis longtemps dans différents pays, ces recherches restaient « théoriques » sans grand impact sur la réalité de terrain jusqu’aux affaires médiatiques récentes et le mouvement « Metoo » qui a suivi. Les femmes qui vivaient ces situations jusqu’alors dans la solitude ont alors eu le sentiment d’appartenir à un collectif. Mais si les paroles se libèrent, il existe toujours une incompréhension concernant la réalité de cette problématique, et même si des lois existent dans près de 75 pays, le harcèlement sexuel reste une violence difficile à dénoncer et à sanctionner. Si tous s’accordent pour dire que le harcèlement sexuel est avant tout l’expression exacerbée du sexisme, dans de nombreux pays il n’est sanctionné qu’en tant que discrimination basée sur le sexe. En France la loi distingue le harcèlement sexuel de nature sexiste qui est constitué par une ambiance de travail portant atteinte à la dignité des personnes, et le harcèlement sexuel coercitif par abus de pouvoir, dans le but d’obtenir un acte de nature sexuelle. On le voit, l’arsenal juridique permettant de sanctionner les faits existe mais ce n’est pas suffisant, il est fondamental d’éduquer et d’éduquer encore.
Enfin, en raison de l'accroissement de la place de la numérisation dans la vie active, la notion de harcèlement moral s’est également élargie au cyberbullying, nouvelle problématique qui suscite une prise de conscience grandissante parmi les chercheurs et les praticiens. Contrairement au harcèlement moral en face à face qui peut se perpétrer sans volonté de nuire, dans cette nouvelle forme de harcèlement qui se répand à travers l’usage des courriels et des réseaux sociaux, la violence est beaucoup plus consciente et perverse, avec un but réel de blesser et d’humilier, et ce de façon indélébile.
Bien sûr, lors de cet événement international sur les différentes formes de harcèlement au travail toutes les questions n’ont pas trouvé de réponses, mais les nombreuses et intéressantes présentations ont incontestablement ouvert la porte à de nouvelles recherches. La présence du BIT lors de ce congrès peut laisser espérer que nos travaux viendront alimenter ceux de la Convention internationale sur le harcèlement et la violence au travail dont l’adoption pourrait être votée à Genève en juin 2019.
Loïc LEROUGE et Marie-France HIRIGOYEN