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Hommage à Raymond Vatier

Raymond Vatier s’est éteint dans sa 98ème année. L’Association dont il fut le Président national de janvier 1963 à avril 1968, lui rend hommage et s’associe à la douleur de ses proches. 

Nous vous invitons à découvrir son parcours et sa contribution au développement de la fonction RH et de la formation professionnelle en visitant le site : http://raymondvatier.fr/biographie/.

Ingénieur des Arts et Métiers, Raymond VATIER débute sa carrière aux usines Renault en 1941. Après deux ans en « otage de l’entreprise » dans une usine allemande, il revient en 1945 dans une entreprise devenue Régie nationale à la Libération, sous la conduite de Pierre LEFAUCHEUX (théoricien des nationalisations dans la Résistance). Il assiste Etienne LONGCHAMP, directeur de services sociaux nécessaires à l’issue de la guerre, jusqu’à leur remise à la gestion d’un Comité d’entreprise. ll prend ensuite une fonction opérationnelle comme responsable technique du département des traitements électrolytiques. Son directeur le fait inscrire à un enseignement complémentaire d’Irène Joliot-Curie à la Sorbonne. C’est une période de reconstruction industrielle de l’entreprise, ruinée par une série de bombardements. Il assure par ailleurs des enseignements de dessin industriel et de droit social aux apprentis de la Régie, ce qui lui vaut des controverses sur les méthodes de formation de l’apprentissage et la coopération avec l’Association locale de l’enseignement technique (AFDET).
Elu délégué des ingénieurs et cadres en 1948 , avec d’autres jeunes ingénieurs, il est acteur dans une longue grève en 1950, entrainant ultérieurement une coopération active avec le PDG Pierre LEFAUCHEUX. En 1951 il participe, à titre syndical, à une mission de productivité sur la formation de la maîtrise aux Etats-Unis.


Arrive un nouveau « Directeur du personnel » dynamique et inventif, Jean MYON , Raymond VATIER le rejoint et prend en charge la formation de la maîtrise et le recrutement et l’intégration des jeunes ingénieurs, mis en place à l’issue d’une suite de stages tournants.ll crée un « service d’études des problèmes de personnel », auquel s’associent des chercheurs universitaires (Georges FRIEDMANN, Jean-Marcel JEANNENEY, Alain TOURAINE , Jean-Daniel REYNAUD…), pour étudier les questions soulevées par l’emploi, l’organisation du travail et les pratiques sociales.
Dans ce cadre il prépare les bases de négociations sociales aboutissant en 1955, à un accord d’entreprise instituant avec les syndicats signataires, une logique de participation. Même la puissante CGT après un mois de réflexion, acceptera, avec les autres, un préambule instituant, dans une perspective de « paix sociale », d’entrer dans une pratique de négociation continue. En 1958, il ouvre avec quatre directeurs de personnel d’autres sociétés industrielles, un organisme inter-entreprise de formation qui deviendra en 1966 une organisation à gestion tripartite (entreprises, syndicats, pouvoirs publics), le CESI (Centre d’études supérieures industrielles), assurant une formation d’ingénieur en deux ans, fonctionnant par alternance de périodes d’études et de stages en entreprises.


Comme directeur général, il y crée une filière de perfectionnement de cadres en place, et développe le CESI en France et en Algérie . Pour répondre à l’accord sur la formation professionnelle négocié entre patronat et salariés depuis 1968, le ministre de l’Education Nationale, Olivier GUICHARD, l’appelle en 1970, comme Directeur Délégué à l’Orientation et à la Formation Continue, pour structurer l’action du ministère dans ce domaine. Sous le pilotage de Jacques Delors, il participe à l’élaboration des lois sur la formation professionnelle continue (qui seront votées en 1971).
Dans l’après mai 68, et un environnement plutôt réservé du milieu enseignant, vis-à-vis d’un Directeur venu d’entreprise, il institue à partir de 1970, les premiers conseillers en formation continue (les CFC), formés dans des centres spécialisés (les CAFOC). Le réseau des groupements des établissements scolaires du secondaire (les GRETA) apporte la contribution du service public éducatif aux entreprises, aux professions, aux bassins d’emploi et aux demandeurs individuels. Il institue des contrats d’assistance initiale et les contrats de développement pour les universités. En 1971 il fait aboutir deux projets en attente : l’Office national d’information sur les enseignements et les professions (ONISEP) et le Centre d’études et de recherches sur les emplois et les qualifications (CEREQ), nécessaires pour une réforme de l’orientation, s’adressant tout à la fois au élèves du second degré, comme aux étudiants et aux adultes salariés des entreprises. Pour la formation à distance il fusionne la Télévision scolaire (RTF promotion) et le Centre national de téléenseignement (CNTE), pour en faire l’Office français des techniques modernes d’éducation (OFRATEME).


Piloter la formation continue en s’appuyant sur des instances tripartites (enseignants, employeurs et syndicats de salariés) entraine un climat de réserve de la plupart des syndicats d’enseignants, opposés à « représentant du capitalisme », cependant que des tranches du pouvoir en place y voient un relais de « gauchisme ».
Le projet d’Agence pour le développement de l’éducation permanente (ADEP) instituée en 1973 comme source de génie pédagogique à disposition des GRETA et des régions est dénaturé lors du changement de ministre. Il sera supprimé en 1998 alors qu’utile aux régions, elle est estimée inutile pour l’Education nationale.
L’instabilité ministérielle brise cet essor. Une première fois en 1972, avec Joseph FONTANET et Raymond SOUBIE, pour qui la formation des adultes relève du ministère du Travail –via l’AFPA-. Le plan stratégique est supprimé. 2500 postes prévus par ce plan sont abandonnés. Un changement de ministre peut se renouveler, même en étant plus directeur en titre l’activité se poursuit, les rectorats visités, les journalistes reçus.. La vie continue, les collaborateurs s’y adaptent. Un deuxième changement en 1974, amène René HABY, pour qui l’accueil des adultes à l’école est « un fantasme de 1968 condamné à mourir de lui-même».
Ce dernier ministre ne prendra aucune des mesures nécessaires, mais il n’en prend pas contre ce qui a été créé par Olivier GUICHARD et Raymond VATIER. Ainsi ces institutions survivront-elles trente cinq ans dans la clandestinité et existent encore et se poursuit l’activité des conseillers en formation continue (les CFC) des groupements d’établissements (GRETA) et des Délégués académiques (les DAFCO). L’Agence pour le développement de l’éducation permanente, sera supprimée au moment où les Régions -créées entre temps- en faisaient faire un élément clef de leurs initiatives !).


Mais trente ans plus tard, à l’occasion d’une Saga familiale, voulant être précis dans ses écrits, il recherche des témoins de l’époque. Par eux il découvre que ce qu’il croyait perdu a survécu. Avec huit anciens collaborateurs (un peu blanchis au fil des ans) qu’il consulte durant quatre ans, il relate cette aventure et publie en décembre 2008, « Ouvrir l’école aux adultes » (l’Harmattan) qui en est un récit détaillé.
Cette publication le met en relation avec les acteurs actuels de cette fonction, y compris les ministres qui en ont la charge. Réfléchissant avec eux et avec les apports d’hommes de l’industrie il identifie les raisons structurelles, les pratiques du milieu et les contraintes du système procédures de gestion.
Il prend ainsi conscience des éléments qui ont empêché la « formation continue » de se développer au ministère de l’Education nationale. Mais en même temps il met en lumière les réalités qui ont cependant permis à l’activité de s’y maintenir et de s’y développer (en quasi clandestinité).
Il procède durant quatre ans à une enquête auprès d’animateurs de la formation et de responsables d’administrations, de syndicalistes et d’entreprises. Il rassemble ainsi 73 témoignages écrits et termine par une série de propositions pour la décennie suivante. Il en tire un ouvrage « Formation continue, utopie en 1970, urgence en 2012 » paru en novembre 2011 (Edition EMS in QUARTO).


Dans la conjoncture d’urgence provoquée par la crise économique, la perte de compétitivité du pays, le chômage des jeunes et les difficultés d’emploi des seniors, ces suggestions proposent des mesures d’urgence pour leur donner de nouveaux développements, nécessités par la situation. Il analyse en la circonstance les forces et faiblesses du système scolaire et universitaire et transmet ses propositions aux deux ministres.
Raymond Vatier rejoint l’Institut Entreprise & Personnel, qu’il avait contribué à créer avec Robert BOSQUET en 1969, en coopérative d’entreprises, il y développe les concepts et les méthodologies de l’audit social, et crée dans ce cadre en 1977, le cabinet  » Expertise et Audit Social « . A ce moment le ministre Robert Sudreau fait voter une loi instituant un bilan social faisant le point des pratiques de gestion sociale et de leurs résultat, dans les entreprises de plus de 300 salariés. Pour vérifier ce document et le valider Bilan social le cabinet créé met au point une méthode d’analyse qui devient l’audit social .
En 1981 devant les difficultés financières causées par la nationalisation de la banque CIC qui soutenait cette action, le cabinet recherche un accord de coopération qu’il ne trouve pas en France. Il passe alors un contrat de cession et d’assistance avec le groupe américain Hay. Raymond Vatier continue ensuite d’assurer cette activité en statut de profession libérale.
Mais, souhaitant que l’image « audit social » ne devienne pas « américaine », il crée en 1982, avec Pierre CANDAU, universitaire d’Aix-en-Provence, et un cercle d’auditeurs, d’auditrices et d’universitaires, l’Institut international de l’audit social (IAS). S’associent à eux les universités d’Aix-en-Provence et de Toulouse et l’ESSEC de Cergy, contribuant ainsi à promouvoir le concept et la pratique de l’audit social, ses valeurs et sa méthodologie d’analyse rigoureuse. La permanence du développement de l’IAS se traduit par des Universités d’été. Après celle d’Aix-en-Provence en 1983, vingt-neuf autres de ces universités d’été se sont déroulées à Jouy-en-Josas (HEC), Aix en Provence, Toulouse, Bordeaux, Lille, Luxembourg, Marseille, Paris (ESSEC) Poitiers, Montpellier et Dijon (en 2012). Dans le même temps quatorze « universités de printemps » se sont tenus à Hammamet, Marrakech (2), Alger (2), Beyrouth (2), Corte, Tunis, Moscou, Dakar, Tanger, Agadir et Oran. Présidée par Jean-Marie PERETTI, professeur à l’ESSEC et à l’université de Corse. l’IAS a créé en 2010 un « Prix Raymond VATIER de l’Audit Social » pour souligner et faire connaitre les meilleurs travaux d’étudiants sur la pratique de l’audit social.


Depuis longtemps l’ONU finance des actions de formation dans des pays en voie de développement. Dans ce but, elle fait appel à des conseillers et formateurs de différentes nations, dont nombre de français originaires des enseignements techniques ou des centres de formation professionnelle (AFPA). Elle confie à l’Organisation Internationale du Travail la recherche et la gestion de ce personnel et s’attache la coopération des capacités d’expertise et d’évaluation des projets de formation professionnelle réalisés dans ces pays. Le contrôle de ces activités est confié à son bureau (le BIT).
Raymond VATIER, se voit chargé de 1963 à 1977, de missions de contrôle et d’assistance, en Amérique Latine au Venezuela, avec intervention en Colombie et au Pérou. En Afrique, en Côte d’Ivoire, il s’agit de préparer une loi sur la formation d’adultes et d’en vérifier, trois ans plus tard, les modalités d’application.
L'activité professionnelle de Raymond Vatier se révèle constamment associée à des rôles publics, des mandats électifs, des engagements associatifs et des activités culturelles. Cela commence quand, à dix ans, il crée un club de Benjamin. Lors d’une réunion où il pense s’instruire sur la façon de présider, on parle du recrutement d’abonnés à la revue « Benjamin ». Il s’accroche avec le responsable : « Jaboune » (Jean Nohain le père, en 1956, de l’émission de télévision « les Trente-six-chandelles ». Raymond ne la regardera jamais). Son éducation religieuse du jeune âge le conduit à militer dans des activités de cadres catholiques, à coopérer à l’action du groupe socioculturel, compétent en analyse socio-urbaine « Economie et humanisme » et de participer à l’action des trois prêtres ouvriers de Billancourt. C’est là qu’il rencontre Marie-Louise, la militante qu’il épouse en 1947. La condamnation de ce mouvement, en 1954, par le Vatican les heurte de façon durable.
C’est pour participer à l’approfondissement du concept de « promotion sociale » lancé en 1959 par Michel DEBRE qu’il est nommé « membre de section » au Conseil Economique et social. Entre temps il a été délégué syndical à la Régie Renault au point que, remarqué par le PDG, il devient le chef du service de mise en place des jeunes ingénieurs. Jacques DELORS lui demande de participer à la commission de l’emploi au 5ème Plan et d’animer un groupe de travail sur « Les obstacles à la formation des adultes ».


De 1962 à 1968, il préside l’Association Nationale de Directeurs et Cadres de Personnel (ANDCP), devenue aujourd’hui l’ANDRH, ce qui entraine des dialogues avec les ministres du Travail, GRANVAL et FONTANET. Il organise des voyages d’études dans cinq pays d’Europe pour en comparer les systèmes sociaux, au moment de la naissance de la Communauté européenne. Un voyage de comparaison est organisé en 1963 en URSS.
De 1965 à 1967 il préside l’association européenne des directeurs de personnel (AEDP). Vice-président de l’association des ingénieurs Arts et Métiers, il pilote, en 1966, une étude sur « le profil de l’ingénieur de l’an 2000 » et anime des sessions de réflexion sur leur future carrière pour des jeunes ingénieurs ayant cinq ans d’expérience professionnelle. En 1969, Georges POMPIDOU, candidat à la présidence de la République, souhaite généraliser la mensualisation des ouvriers, il demande au ministre du Travail, Joseph FONTANET, un rapport étudiant ce projet. Jean FOURASTIER, Raymond VATIER (s’appuyant sur les résultats de la Régie Renault ayant lancée cette pratique en 1955) et Jean-Daniel REYNAUD en sont chargés, avec le représentant de l’association des familles.


De 1974 à 1979 Raymond VATIER préside la fédération d’Ile de France du Crédit mutuel. Il y institue des représentations syndicales et la dote d’un système informatique centralisé. Il en tient les assemblées à la Maison de la Mutualité, au lieu de « la Catho ». Il tente d’y créer des prêts pour les adultes poursuivant des études et des soutiens à l’innovation de nouvelles entreprises. Ces projets non retenus, seront repris par d’autres partenaires mutualistes.
De 1977 à 2001, il assume des mandats communaux et intercommunaux. Maire-adjoint de deux communes du Plateau de Saclay, (Vauhallan et Villiers-le-Bâcle, y crée des cours de gymnastique pour les anciens et ouvre des cours de peinture dont il devient vite un des élèves. Il rénove une ferme pédagogique pour plusieurs communes (17000 journées/enfants par ans), accueille des commerces de proximité et autres activités locales de service. Avec un financement intercommunal et départemental, il passe un contrat intercommunal permettant de construire un Dojo réclamé par les Judokas, ouvrir un chemin piétonnier entre deux communes reliées par une route dangereuse et fait réhabiliter le clocher d’un autre village. 

Au cours de deux mandats intercommunaux, il participe à la constitution de la Communauté d’Agglomération du Plateau de Saclay, un lieu où se multiplient des entreprises aux technologies de pointe (dont le Commissariat à l’énergie atomique CEA), d’activités universitaires, de grandes écoles (Polytechnique, HEC, SUP-ELEC, INSTN), installées sur un espace de grande valeur environnementale et de terres cultivables à protéger. Ces réalisations entreront ultérieurement dans le projet de « Grand Paris ».