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Fred Kofman - Le leadership transcendant

Les chroniques de Laurent Choain dans le magazine de l'ANDRH présentent quelques uns des penseurs qui parlent à l’oreille des dirigeants tout en essayant de promouvoir une société plus consciente, au service du développement humain. Aujourd’hui, le gourou de la Silicon Valley : Fred Kofman.
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>> Extrait du numéro de septembre 2019 du magazine de l'ANDRH.

Fred Kofman - Le leadership transcendant

Dans la série satirique mais très réaliste « Silicon Valley », un gourou apparaît de manière récurrente, à la lisière du chaman et du pandit. La satire le dépeint en emberlificoteur éthéré, perdu lui-même dans le fil de son raisonnement et essayant de coller à ce qu’attend le Chief Executive Officer (CEO) qu’il parasite. 

L’exact contraposé de Fred Kofman, tee-shirt, jeans et sac-à-dos, rare dans sa parole tout en étant chaleureux et donnant l’impression qu’il ne fait que poser des questions. Mais quand il se lance, le raisonnement est particulièrement construit, faisant appel à votre logique. Pas de pathos, pas d’ethos, juste du logos.

C’est tout le paradoxe de Fred Kofman ; il parle en permanence de la dimension humaine, empathique, émotionnelle du leadership, mais il n’en parle qu’avec un raisonnement construit, démonstratif, terriblement logique. 

A l’origine, Fred est un prof de comptabilité à la prestigieuse Sloan School of Management du Massachussetts Institute of Technology (MIT). Ses recherches portent sur l’efficacité des systèmes de rétribution et d’incitation à la performance. Particulièrement inspiré par ses échanges avec son mentor Peter Senge sur les organisations apprenantes, il commença à approfondir le sujet qui n’allait jamais le quitter : qu’est-ce que la performance humaine et comment l’activer ? 

Il lui fut donc facile d’être élu « professeur de l’année » en 1992, ce qui, au lieu de le renforcer dans l’idée d’une carrière académique, le convainquit de changer totalement d’orientation et de devenir entrepreneur. Il fut donc un fondateur, un entrepreneur, un CEO d’une entreprise de conseil qui compta jusqu’à 150 consultants dans 7 pays. Cela le conduisit à écrire son premier ouvrage, Conscious Business, en 2006. Que la qualité des leaders soit le premier déterminant d’un capitalisme plus conscient l’amena donc à un nouveau changement d’orientation, comme « cultivateur de dirigeants », d’abord chez Linkedin et aujourd’hui chez Google.

Développer les leaders exige d’avoir une vision claire, bien qu’ouverte, d’en quoi consiste le leadership. La réflexion de Fred Kofman cherche une universalité dans cette vision, sans qu’elle soit totalement superficielle ou mystique.

« Développer des leaders transcendants exige de comprendre deux types de mécanismes ; le déraillement et l’activation du leader transcendant. »

Avec le temps et la fréquentation des dirigeants, en particulier de la Silicon Valley, son questionnement initial s’est enrichi pour aboutir à une définition exigeante du leadership : réussir à aligner des intérêts individuels forts voire divergents sur une mission collective comprise et partagée. Ce n’est pas selon lui une question de courage, d’humilité, de vision, de résilience… C’est une question de transcendance, d’héroïsme bien compris.

Le leader transcendant 

Développer des leaders transcendants exige de comprendre deux types de mécanismes ; le déraillement et l’activation du leader transcendant. Fred Kofman identifie principalement quatre mécanismes de déraillement des leaders.

  • L’apathie, le désengagement. Comme l’avait montré Albert Hirschmann dans son modèle « Exit, Voice, Loyalty », la loyauté est l’illusion du leader qui pense que les collaborateurs qui ne s’expriment pas (no voice) et restent dans l’entreprise (no exit) sont fidèles, alors que majoritairement ils sont désengagés, apathiques et n’attendent rien du leadership. Kofman propose, plus avant, une critique fondamentale des soubassements matérialistes du capitalisme moderne.
  • La désorganisation. La désorganisation est une conséquence du désengagement, pour trois raisons. Très peu de salariés ont une idée claire de ce en quoi consiste leur job, une critique devenue populaire désormais. Il n’y a pas de lien évident entre la performance individuelle et la performance de l’entreprise. Enfin, les systèmes d’incitation économique ne parviennent pas à surmonter l’antagonisme entre contribution collective et performance individuelle.  
  • La désinformation. Très peu de managers dans les organisations ont une vision effective des leviers globaux de performance, se focalisant sur des informations partielles qui, combinées, détruisent en fait de la valeur et génèrent d’importants coûts de transaction et de coordination internes. Et l’information clef, manquant la plupart du temps, ce sont les coûts d’opportunité.     
  • La désillusion, fruit de trois phénomènes : une sur-affirmation des messages, le scepticisme de principe des équipes, plus vous cherchez à inspirer, plus vous êtes en risque de trahir – c’est en cela que le pouvoir corrompt le plus.

En regard de ces déraillements, Fred Kofman décrit cinq ingrédients basiques de management efficace : la motivation, la culture, la responsabilité, la collaboration, l’intégrité. Mais tout admirables que soient ces attributs, ils ne suffisent pas à caractériser un leadership transcendant. Pour cela, trois attitudes différentiantes sont nécessaires en situation critique, ce que Kofman appelle « l’odyssée du héros ».

  • L’abnégation ; conventionnellement, on définit le leadership comme la capacité à entraîner des « followers ». Kofman explique que le phénomène s’inverse dans le cas du leader transcendant. Ce sont les followers qui inspirent le leader, qui sont les investisseurs en capital énergétique dans le projet du leader.  
  • L’immortalité. Kofman ressort de ses entretiens avec les leaders modernes qu’ils se sont confrontés à l’idée de leur mortalité bien avant de mourir, et que cela provoque deux phénomènes: le sentiment de l’essentiel et l’absence de soumission à de fausses valeurs. Mais les leaders transcendants n’engagent pas ce processus d’immortalité pour eux-mêmes. Ils en font le fondement de l’aventure collective, la raison d’être ensemble, leur principe activateur chez les autres. 
  • L’héroïsme, ou plus précisément le voyage du héros, consiste à réussir à surmonter l’adversité en l’affrontant le premier et en étant capable d’en sublimer les leçons, en particulier par le langage et par la créativité « en situation ». Et à revenir dans sa communauté pour faire profiter les autres de son expérience traumatisante et transformante, en un mot transcendante.

Pour Fred Kofman, il y a ainsi une différence majeure entre le désormais populaire « servant leader »  et le « transcendant leader » ; la finalité du servant leader est de servir ses équipes. Le leader transcendant sait qu’une communauté, si forte et humaine soit-elle, ne suffit pas à sa propre cause. Et c’est cette conscience de leur rôle de leader transcendant qui doit permettre au capitalisme dans son ensemble d’être plus conscient, et acceptable.

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Les intervenant(e)s
Laurent Choain,
Chief leadership, Education & Culture chez Mazars
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