Article issu de notre magazine (numéro 613 sept-oct 2021)
Isabelle Barth : La crise dure et nous vivons depuis un an et demi un effet « Mont Saint Michel » : lors d’une course, on voit très tôt le Mont St Michel et plus on avance vers lui, plus on a l’impression que le Mont St Michel s’éloigne.
"Prenons le temps de capitaliser sur ce qui a été bien fait !"
En entreprise, la fin de la crise semble reculer de la même manière. Il en résulte une grande difficulté à maintenir la motivation dans un contexte qui n’en finit pas de finir. Le centre de la mission managériale est aujourd’hui de rassurer, que ce soit la gouvernance, le top management, les collaborateurs et les équipes intermédiaires. Mais les managers sont eux-mêmes dans une grande incertitude pour l’avenir ! Je remarque une grande fragilité de toutes les couches intermédiaires.
Cependant, les équipes et les organisations ont fait preuve de beaucoup de courage dans cette période et nous avons été témoins de notre capacité à innover et à désapprendre. Prenons le temps de capitaliser sur ce qui a été bien fait !
IB : Nous assistons à un ras-le-bol managérial, dont l’entreprise libérée est d’ailleurs très symbolique. La majorité des personnes qui reviennent sur site souhaitent une évolution de l’organisation du travail et du management. Une prise de conscience en la matière est nécessaire. Ce que j’appelle « le temps du management », c’est-à-dire le temps dédié aux entretiens, aux mises au point, au dialogue, s’est réduit.
"Distinguer le « directement productif » et « l’indirectement productif » est nécessaire pour franchir le cap d’un management de qualité."
Les managers font du management quand tout le reste a été fait. Le management intermédiaire est happé par l’opérationnel. D’autre part, être manager est un métier qui s’apprend, tout au long de la vie. Toutes les strates du management tireraient un grand bénéfice de formations au management. Enfin, les salariés ont de plus en plus de tâches relevant de l’auto-organisation (gestion de son temps, de ses outils de travail, de ses mails…) et cela s’apprend.
Distinguer le « directement productif » et « l’indirectement productif » est nécessaire pour franchir le cap d’un management de qualité.
IB : De manière générale, la fonction RH a acquis plus de légitimité pendant cette crise, et la place des DRH dans les Codir s’affirme… Cette dimension humaine prend de plus en plus de place dans les organisations. Dans le contexte Covid que nous vivons à l’heure actuelle, l’un des défis RH est de refaire du collectif. Les situations individuelles sont très diverses (absentéisme, télétravail, nouveaux projets face à la crise…).
"Plus il y a urgence, plus il y a d’incertitude, plus le management a besoin de dire stop."
Refaire équipe ne va pas de soi, et c’est pourtant majeur ! L’organisation du travail en mode hybride est également un vrai défi. Les salariés sont devenus « ATAWADAC», de l’acronyme anglais « Any Time, AnyWhere, Any Device, Any Content » . Ils veulent pouvoir travailler avec des outils numériques qui fonctionnent en fonction du contenu à produire (rapport, analyse, présentation….), et avec des horaires qui sont les leurs. Ces évolutions amènent une réflexion plus large sur le temps de travail et le rythme de travail.
Enfin, la vie privée a aussi fait une plus grande dans le monde du travail, avec nouvelle mise en lumière de la difficile conciliation vie privée / vie professionnelle. On assiste aussi à un recentrage des personnes sur elles-mêmes avec des prises de décisions impliquant des changements importants : changements d’orientation professionnelle, taux de divorce en augmentation, déménagements, …
IB : Il est nécessaire de reprendre du temps pour faire un bilan de ces évolutions pour les équipes et l’organisation, et tirer les leçons de ce qui a fonctionné pendant cette période.
Plus il y a urgence, plus il y a d’incertitude, plus le management a besoin de dire « stop, prenons des moments pour réfléchir et apprendre ! ». On gagne du temps en prenant son temps ! Certaines solutions ont émergé et peuvent faire gagner en performance les organisations qui savent les reconnaître.
Et puis, nous ne nous reviendrons pas au monde d’avant. Il faut déjà planifier le futur et accueillir l’avenir avec ce qu’il a d’imprévisible…