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"Cette génération change le rapport à l’entreprise… et c’est très bien"

Passé par Airbus, Radio France et même une agence artistique à Montréal, Pierre Tréhin est aujourd’hui Senior HRBP (Human Resources Business Partner) de Netflix France. Au cœur d’une équipe aux métiers très divers, il observe avec lucidité l’arrivée de la génération Z dans le monde du travail. Entre responsabilisation, quête d’équilibre et nouveau rapport à l’autorité, il décrypte les mutations à l’œuvre, sans nostalgie ni dogmatisme.

Pierre, vous êtes le RH de Netflix France depuis plus de deux ans. Ça ressemble à quoi, Netflix France ?


Pierre Tréhin : Le bureau français compte environ 150 collaborateurs, répartis en deux entités. D’un côté, les équipes en charge des productions françaises comme Lupin, Sous la Seine, Nouvelle École, et de l’autre, les fonctions support : marketing, communication, publicité, public affairs, RH… Malgré une taille contenue, c’est un effectif qui rassemble une très grande diversité de métiers.

Et cette diversité inclut la génération Z ?


Pierre Tréhin : En partie, oui. On recrute rarement des personnes tout juste sorties d’école mais on attire beaucoup de jeunes profils, souvent en début ou en milieu de carrière. Notre culture d’entreprise est un vrai aimant pour cette génération. Elle valorise la responsabilisation, l’autonomie, la liberté… des valeurs très en phase avec leurs attentes.


"Cette génération pousse les RH à repenser le leadership"

Qu’entendez-vous par responsabilisation ?


Pierre Tréhin : Notre parti pris, c’est de traiter nos collaborateurs comme des adultes. Par exemple, il n’y a pas de politique figée sur le télétravail. Pas de règle du type « 3 jours au bureau ». On demande juste du bon sens dans le jugement de chacun. C’est une liberté qui fonctionne très bien quand elle s’accompagne d’un vrai sens des responsabilités. Et ce n’est pas un modèle naïf, si on constate des dérives, on agit. Mais à l’échelle individuelle, pas structurelle.

Ce modèle très libre vous oblige-t-il à repenser les modes de management d’équipe ?


Pierre Tréhin : Clairement. Le management est très responsabilisé lui aussi. Il n’y a pas d’harmonisation forcée. Un manager peut décider que le mardi, tout le monde est au bureau parce que c’est le jour de la réunion d’équipe, mais il adapte sa pratique au terrain, à la réalité de son équipe. C’est une culture du management différencié, et donc exigeante.

Du côté RH, cette génération Z vous oblige-t-elle à revoir vos pratiques ?


Pierre Tréhin : Pas vraiment. Je pense qu’on a été en avance sur beaucoup de sujets : la flexibilité, la transparence, l’autonomie… On attire cette génération, on ne la subit pas. En réalité, je suis plus challengé par d’autres générations, plus attachées à la stabilité de l’emploi, pour qui certaines de nos pratiques peuvent être déstabilisantes. 

Par exemple, chez Netflix, nous partons du principe qu’il faut régulièrement se poser la question de l’adéquation entre une personne et les besoins de l’équipe. Si un collaborateur ne semble plus en phase avec les attentes du poste ou les objectifs de l’entreprise, nous préférons avoir une discussion transparente pour envisager ensemble la suite. Ce n’est pas une remise en cause de la personne, mais une manière de préserver l’exigence mutuelle et la clarté des rôles. C’est une logique de respect, de performance partagée et de lucidité.

Cette distance, justement, ne se traduit-elle pas par un manque d’engagement au quotidien ?


Pierre Tréhin : Non, au contraire, pour moi, c’est une bonne mise en perspective. Ce n’est pas du désengagement, c’est du discernement. Et c’est parfaitement compatible avec la performance. Quelqu’un qui a de la liberté et peut travailler quand il est plus productif sera bien plus efficace qu’un collaborateur frustré qui respecte un horaire imposé. C’est cette flexibilité qu’on cultive.

"Netflix, c’est une équipe de sport : chacun joue selon ses qualités, au service de la performance du collectif"

Un tel modèle, où l’individu jouit d’une grande autonomie, ne risque-t-il pas de nuire au collectif ?


Pierre Tréhin : Il y a un risque, bien sûr. Mais on le contrebalance en étant clairs sur les attendus. Si la réunion est à 10h, tout le monde doit être là. Ce qu’on exige, ce n’est pas des horaires, c’est une performance collective. Encore une fois, tout est question de cadre : on donne de la liberté dans un cadre, pas dans le flou. C’est la notion d’autonomie en opposition à l’indépendance : on peut être autonome tout en respectant le cadre d’une équipe. Nous avons l’habitude d'utiliser la métaphore de l’équipe de sport : nous souhaitons avoir les meilleurs joueurs, qui jouent collectivement pour atteindre un objectif commun mais chacun joue à un poste différent avec ses propres qualités.


Vous évoquiez plus tôt une génération Z en quête de sens. Est-ce que vous le constatez ?


Pierre Tréhin : Oui. Et je trouve ça très positif. Ce n’est pas nouveau : quand j’étais moi-même étudiant, on parlait déjà de la notion « d’ancres de carrière » autour des valeurs. Ce qui change avec cette génération Z, c’est le niveau d’exigence : elle ne transige pas. Elle veut un alignement entre ce qu’elle fait, ce qu’elle croit et l’impact de l’entreprise. Ça oblige à être plus clair sur ce qu’on propose. Et c’est tant mieux.


"Cette génération peut changer la donne en matière d’engagement éthique"

Est-ce que cette génération va transformer durablement le monde du travail, selon vous ?


Pierre Tréhin : Je l’espère. Notamment sur les sujets d’éthique, de diversité, de durabilité. Il y a une sincérité dans leur engagement qui peut réconcilier l’entreprise avec des valeurs fondamentales. Si cette génération laisse cette trace là, elle aura vraiment changé la donne.

Avez-vous en tête une rencontre récente avec une personne de génération Z qui vous a marqué ?


Pierre Tréhin : Oui, une discussion récente avec un jeune collaborateur très à l’aise pour évoquer sa vie personnelle. Ce mélange entre pro et perso peut surprendre au début, mais je trouve ça sain, au final. C’est une génération qui amène plus facilement ses singularités au travail. Elle attend de l’entreprise qu’elle considère la personne dans sa globalité. Ça nous oblige à trouver un nouvel équilibre et à repenser la place et le rôle du travail, et je pense que c’est le bon chemin.

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