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« Il existe aussi en France des pratiques de dialogue social et de négociations. » - Maud Stéphan

En pleine mutation, le dialogue social en France révèle un double visage : d’un côté, des tensions exacerbées par la crise énergétique et l’inflation, entraînant des mouvements sociaux largement médiatisés ; de l’autre, une culture de la négociation qui progresse dans les entreprises, portée par les ordonnances Travail de 2017 et les enseignements tirés de la crise sanitaire. Quelles sont les grandes tendances, les évolutions marquantes, et les défis à relever pour les partenaires sociaux en 2023 ? Analyse et perspectives avec Maud Stéphan (un article publié dans le magazine de l'ANDRH).
Sommaire

Quel est votre regard sur les évolutions du dialogue social ces dernières années ? 

Maud Stéphan : Il apparaît plus de tensions depuis le début 2022 au niveau social, sous l’effet de l’inflation et de la crise énergétique. Cela se traduit par un certain nombre de mouvements sociaux dans les entreprises, pour certains médiatisés, voire surmédiatisés. 

C’est une réalité bien sûr et la France, avec 114 jours de grève par an pour 1000 salariés, remporte la palme des pays grévistes. Mais, il existe en France d’autres réalités, plus silencieuses, à savoir des pratiques de négociations ancrées dans les entreprises.

Les ordonnances Travail de 2017 ont encouragé la négociation en entreprise, et, en ce sens, elles atteignent leurs objectifs. La Dares indique par exemple que :

  • Près de 80 000 accords ont été signés en France en 2021 dans les entreprises. 
  • Ce chiffre est en forte progression (+ 20 % sur 5 ans)
  • Ce sont dans les petites entreprises que l’on observe la plus forte progression, avec un bond de 65 %.
  • La propension à signer est en moyenne de 90 % de la part des syndicats et les plus contestataires signent à plus de 80 %.

La France est donc certes un pays de conflits sociaux mais c’est la partie émergée de l’iceberg.

La période Covid et les confinements que nous avons vécus peuvent permettre au dialogue social d’innover, en adaptant les modalités en fonction du type d’instances et des sujets.

La crise du Covid a permis d’assouplir les règles du dialogue social. Quel constat faites-vous deux ans et demi après le début de la crise ?

MS : D’une façon générale la période a été nourrie en dialogue, en particulier dans les entreprises où préexistait une forte culture du dialogue social, pour trouver rapidement des solutions face à la crise sanitaire. Dans la majeure partie des entreprises, les partenaires sociaux ont beaucoup échangé, parfois tous les jours.


Concernant les modalités du dialogue social, nous ne sommes pas revenus au monde d’avant. Le mode de réunion à distance a parfois perduré jusqu’à l’été 2022. Les pratiques sont très hétérogènes en la matière mais nous remarquons que les entreprises s’organisent peu en mode hybride : les échanges sont soit à 100% en présentiel, soit à 100% en distanciel. 


La période Covid et les confinements que nous avons vécus peuvent permettre au dialogue social d’innover, en adaptant les modalités en fonction du type d’instances et des sujets. Cependant, le retour d’expérience est encore frais et cette nouvelle organisation du dialogue social est toujours en cours de réflexion au sein des organisations.

Les thématiques relevant du dialogue social s’élargissent au fil des années. Les formations des élus et des membres de direction suivent-elles le rythme ? 


MS : En effet, les thèmes traités – qu’ils relèvent de la négociation obligatoire ou non- s’orientent de plus en plus vers des sujets sociétaux (qualité de vie au travail, environnement, salariés aidants, emploi des seniors…). Cela pose alors la question de la place de l’entreprise et du dialogue social sur certains terrains, à la limite entre vie professionnelle et vie personnelle.

Cet élargissement des sujets traités se percute aussi avec la réduction du nombre d’élus suite aux ordonnances Travail. Ces derniers se retrouvent ainsi avec une explosion des champs d’expertises et doivent devenir de plus en plus généralistes. 

Bien évidemment se pose la question de leur formation et de leur appétence à négocier sur une plus grande variété de sujets. Cette problématique concerne aussi l’autre partie de la table de négociations. 

Si les membres de direction, dans les grandes entreprises, peuvent s’appuyer sur leurs experts internes pour traiter de sujets techniques ou nouveaux - la RSE, l’environnement, les aspects juridiques etc. – il n’en est pas de même pour les dirigeants de PME qui, parfois, ne sont même pas outillés d’un service RH. L’enjeu de formation est tout autant crucial pour eux ; par exemple, les nouvelles prérogatives environnementales des CSE leur sont également imposées.

Enfin, la sensibilisation et la formation doivent aussi concerner les managers ! Ils ont en effet besoin de comprendre les enjeux des sujets négociés, et le contenu des accords afin de pouvoir les expliquer à leurs équipes et les mettre en œuvre au quotidien.

Quels seront les sujets phares en matière de dialogue social en 2023 ?

MS : Les sujets pour 2023 identifiés par Réalités du Dialogue Social sont les suivants :

  • Le temps de travail (semaine de 4 jours, aménagement du temps de travail…)
  • Le pouvoir d’achat et les rémunérations
  • L’emploi des seniors
  • Le sens au travail
  • Les aidants familiaux 
  • La transition écologique. Le sujet de la sobriété énergétique va peut-être mettre autour de la table les partenaires sociaux sur ce thème précis (traité aujourd’hui sous forme de « clauses vertes » dans d’autres accords).

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