Débat entre Benoit Serre et Juliette Naji-Dumas : La transparence des salaires pour plus de confiance ?
Mis à jour le 28/11/2024
- L'opinion de Juliette Naji-Dumas : La confiance comme fondement
- Accroître la responsabilité des managers
- Être clair dans la définition du système de rémunération
- Assumer les différences de salaires
- Concentrer la fonction RH sur les tâches à valeur ajoutée
- La réponse de Benoît Serre
- Les intervenant(e)s
L'opinion de Juliette Naji-Dumas : La confiance comme fondement
J’ai eu la chance de réaliser un stage pendant mes études dans une entreprise du secteur numérique pratiquant la transparence des rémunérations. J’en ai tiré la certitude que la transparence des salaires est une pratique utile et nécessaire dans nos organisations.
« A l’ère des fake news, la première manière de créer la confiance est de fournir soit même les données fiables. »
La récente crise sanitaire a permis de rappeler deux facteurs clés de succès lors de l’organisation d’un plan de continuité d’activité en télétravail complet : la capacité à déployer la stratégie de l’entreprise à l’ensemble des personnes qui la composent et la capacité à faire remonter les analyses terrain.
La fluidification de ces échanges repose sur l’instauration d’un climat de confiance entre opérationnels et instances dirigeantes et sur un process efficace de transmission de l’information. La transparence sur les pratiques salariales est la source de création de confiance à l’échelle de l’entreprise. Elle possède également d’autres bénéfices :
Accroître la responsabilité des managers
Rendre les salaires publics permet de rendre le manager encore plus acteur dans leur explication. Lui donner l’ensemble des informations permet de poser l’ensemble des questions et des objections dès le départ afin d’être paré pour les questionnements légitimes du collaborateur. Cela permet aussi d’éviter les promesses irréalisables envers les salariés.
Être clair dans la définition du système de rémunération
Une des tentations des managers peut être de rémunérer tout le monde au même salaire pour ne pas générer de jalousie. Dès lors, partager les salaires doit se doubler d’une réflexion sur la rétribution de l’ensemble des points sur lesquels nous attendons nos salariés : performance, ancienneté, investissement... Investir dans un département Compensation & Benefits a un coût ; pouvoir aboutir à un partage transparent des salaires est le meilleur indicateur de sa réussite !
Assumer les différences de salaires
L’éventuelle différence des salaires entre une personne avec une forte ancienneté et une personne venant de l’intégrer est un poncif des déceptions de salariés pourtant indispensables. Assumer cette différence difficile à accepter permet de couper certains propos vains : c’est un impondérable du choix de rester à un même poste.
Ma propre expérience au sein d’une organisation transparente m’a permis d’observer la pression sociale, assumée, des salariés : tout collaborateur augmenté ou avec un salaire plus important que la moyenne est soumis à une attente de résultats de la part de son équipe. Par ailleurs, pour les salariés payés moins que la moyenne, en être conscients est le premier pas pour rééquilibrer cet écart.
« Rendre les salaires transparents est le dernier stade d’une évolution culturelle de l’entreprise centrée sur la confiance ! »
Concentrer la fonction RH sur les tâches à valeur ajoutée
Communiquer et suivre les règles d’attribution des primes et augmentations permet aussi de concentrer le travail des managers et des RH sur leurs tâches à valeur ajoutée. Combien de temps perdu à réfléchir sur des rémunérations, alors que celles-ci finissent toujours par être connues entre salariés ? Combien de temps perdu avec des salariés pensant être moins payés que leurs collègues, sans que, par confidentialité, on ne puisse leur révéler qu’ils sont en réalité plus payés que ces derniers !
Rares sont les entreprises à l’aise avec 100% des rémunérations de leurs employés. A l’ère des fake news, la première manière de créer la confiance est de fournir soit même les données fiables. Il est possible d’assumer certains écarts, voire certaines erreurs possible, si cela est accompagné d’un plan d’actions mis en œuvre. Rendre les salaires transparents est le dernier stade d’une évolution culturelle de l’entreprise centrée sur la confiance !
La réponse de Benoît Serre
Mettre un tel sujet sur la table conduit à s’interroger sur son utilité et sa pertinence. Ce sont en effet les circonstances qui font renaître régulièrement ce débat. En ce moment, c’est le fameux « name & shame » dont on a pu observer les dérives dans l’étude sur les pratiques discriminantes à l’embauche faites en 2019. Cette pratique d’outre atlantique a mis en accusation des entreprises sans filtre. L’un des auteurs de l’enquête lui-même reconnaissait en effet qu’il n’était pas favorable à une telle utilisation de son travail car il visait des comportements individuels.
Avec la transparence des rémunérations, nous prendrions le risque de telles dérives dans les médias mais surtout dans l’entreprise avec une différence de taille car cela pourrait toucher des personnes. A l’heure des réseaux sociaux où chacun s’autoproclame tour à tour expert, juge ou avocat sans avoir ni la connaissance, ni la compétence, ni la légitimité de le faire, ce serait au mieux imprudent et au pire dangereux.
Par ailleurs ce ne sont pas les individus qui déterminent seuls leurs conditions de rémunération. Cela renvoie à des règles, des grilles, des éléments connus globalement par catégorie publiés chaque année et communiqués aux représentants du personnel. Pourquoi ajouter une sorte de « contrôle de tous » alors que ces sujets sensibles et importants sont encadrés par des règles de transparence et de publicité suffisamment fortes pour en faire notamment un sujet annuel de négociation ?
La transparence des rémunérations – à écouter la plupart de ses contempteurs- serait un outil de garantie d’égalité et de justice sociale. Admettons la sincérité de l’argument mais les pratiques actuelles de dénonciation parfois sans preuve amplifiées par les réseaux, ce temps médiatique si rapide au regard du temps de la justice par exemple font que nul ne sait à quelles dérives ou délations calomnieuses nous serions confrontés par une telle transparence. Le risque de détournement à des fins inavouables des informations n’est pas certain mais potentiel. Dès lors, limitons-nous au respect du vieil adage « dans le doute s’abstenir ».

Directrice d'agence d'inclusion chez Humando

DRH de l'Oréal France et Vice-président délégué de l'ANDRH